Judit LÕRINCZ
National Széchényi Library

Bibliographie


Cette fois-ci, mon seul but est de mettre en relief certaines orientations de nos recherches.


"La culture a base de livres"

Lire, collectionner des livres: autant d'habitudes qui font essentiellement partie de notre comportement culturel. Ou faudrait-il dire plutot "qui en faisaient partie"? Au passé? Déja sur ce point, je suis dans l'embarras:quel temps faut-il choisir? Chaque culture est complexe, qu'il s'agisse de ses contenus substantiels ou du systeme de comportements et d'habitudes des groupes dont la société se compose. Cepandant, la culture dominante reste une réalité indéniable. Le livre, la lecture sont autant de facteurs de compréhension mutuelle et contribuent de ce fait a créer et a souder les collectivités. En Europe centrale orientale, donc en Hongrie aussi, le livre était facilement accessible dans les conditions du socialisme. Dans les années 1960-70-80, c'était un bien auquel nous avions droit et que nous pouvions posséder. Le livre était bon marché, et dans l'économie du manque, les livres les plus recherchés ont été vendus en quelques heures. Les oeuvres littéraires les plus importantes étaient sujets de discussions, s'infiltraient dans la communication quotidienne. Lire, posséder, collectionner des livres, 'était en meme temps un facteur de division dans la société, ayant un role éminent parmi les intellectuels, titulaires de baccalauéat et de diplomes d'études supérieures, mais plutot secondaire, moins important parmi ceux qui avaient un métier manuel. Et pourtant, la littérature est devenue force créatrice de collectivité, caractéristique se reposant sur des traditions de plusieurs siecles.


Besoin de connaissances ou dépendance vis-a-vis de la fiction?

Selon les données de certaines études comparatives internationales effectuées dans le passé, la structure des lectures des Hongrois est dominée d'une part par la littérature, d'autre part par les oeuvres "paralittéraires", la littérature "grise".

Selon l'enquete sociologique comparative franco-hongroise de la lecture, effectuée en 1972, a Paris la proportion de la littérature est de 34%, tandis que celle de la paralittérature de 27%. A Budapest, la proportion de la littérature s'éleve a 46%, et celle de la paralittérature est la meme qu'a Paris. Quant aux oeuvres de non-fiction, les taux de pourcentage sont respectivement 35% a Paris et 27% a Budapest. (Józsa, 1975)

Notre enquete internationale récente a enregistré des données de 1986-87 sur la Hongrie et la Finlande. Selon les résultats de cette enquete, a l'intérieur de la structure de lectures des Hongrois la proportion des oeuvres "paralittéraires" s'est élevée a 37,4%, tandis que cette proportion n'est que de 29,7% chez les Finlandais. (Lõrincz, 1991., 215-220. p.)

Un tiers des lectures des Finlandais se composent d'oeuvres de non-fiction (32,4%). En Hongrie, cette proportion n'atteint meme pas le quart (23,9%). On a pu constater que la mentalité de lecteur hongroise est plutot expressive, avec prédominance des oeuvres de fiction aidant l'évasion, permettant de s'échapper aux soucis quotidiens. Avec la présence plus accentuée des oeuvres de non-fiction les aidant dans les études, le travail et l'acquisition des connaissances, les Finlandais tendent plutot vers une lecture instrumentaliste. (Lõrincz - Vakkari, 1991.) Ces enquetes ne concernaient toutefois que la population adulte.

Notre enquete visant l'exploration du niveau de lecture des futurs pédagogues a été effectuée parmi des jeunes de 17-24 ans, le recueil des données a eu lieu en 1991. Quant aux lectures de ces jeunes, la proportion des oeuvres de fiction est de 70% en Hongrie, de 90% en Roumanie parmi les étudiants de l'école normale d'instituteurs de Székelyudvarhely, de 83% en Slovaquie a l'école normale de Nyitra, et de 75% a Jászberény.






La proportion des oeuvres de non-fiction dans les lectures des futurs pédagogues hongrois est un peu plus élevée que celle constatée chez les adultes. De ce point de vue, les étudiants de Nyitra se trouvent au milieu, avec une proportion de 13% des oeuvres de non-fiction. Dans le cas de Székelyudvarhely, la proportion des oeuvres de non-fiction n'atteint meme pas 10%. Ce pourcentage correspond aux données enregistrées en 1960 concernant la population hongroise adulte.

Au début des années 1980, une enquete de mode de vie a été effectuée sur un échantillon de 1728 étudiants des universités et écoles supérieures. Dans le cadre de cette enquete, on a enregistré quelques données concernant la lecture aussi. (Falussy - Laki - Tóth, 1991., p. 106.) A titre de comparaison, je dois remarquer que d'apres les résultats de cette enquete la proportion des oeuvres de fiction dans les lectures est de 85,4%, donc plus élevée que chez les étudiants hongrois et slovaques interrogés dans le cadre de l'enquete sur les futurs pédagogues, et quelque peu moins élevée que dans la structure des lectures des étudiants de la meme enquete, venus de l'école normale d'instituteurs de Transylvanie.

Malgré le fait que la structure de l'édition a connu des changements considérables ces dernieres années et que la transformation favorise surtout la littérature de non fiction, la structure des lectures ne reflete pas cette différence de facon éclatante. La lecture n'est pas une expérience isolée, elle fait partie du mode de vie réel et évolue dans les cadres des gouts en général. Dans les pays occidentaux, le roman devait subir un long processus de déclassement, alors que la littérature documentaire a gagné du terrain et, parallelement, la lecture des oeuvres de non-fiction, de vulgarisation s'est transformée en besoin. En regardant la liste des ouvrages publiés chez nous, on peut constater que le nombre des titres de ce genre a augmenté en Hongrie aussi, mais la présence plus accentuée de ces oeuvres ne s'accompagne pas pour autant de l'augmentation du nombre des lecteurs de la littérature de non-fiction. On se rend compte assez lentement que pour s'orienter dans le monde et avoir une vie active dans la société on a besoin de livre en tant qu'instruement, en tant que moyen d'acquisition de connaissances. Il parait qu' au tournant des années 80 et 90, c'est en Hongrie, parmi les étudiants, futurs pédagogues de Pécs et de Jászberény et surtout parmi les garcons qu'on ressent le mieux l'évolution de la structure sociale, l'apparition des exigences en matiere de connaissances dans les différents domaines de la vie. A Nyitra, cette évolution est moins remarquable, et c'est en Roumanie, en Transylvanie que le développement est le moins fort.

Sur la base des lectures, on peut donc se permettre de constater que la présence de la littérature de fiction est dominante, tandis que les besoins de connaissances ne sont pas assez forts pour engendrer un mouvement remarquable vers la lecture instrumentaliste.

Malgré certaines différences de degré entre les trois lieux de l'enquete, c'est a dire la Transylvanie en Roumanie, Nyitra en Slovaquie et Nyíregyháza, Budapest, Jászberény en Hongrie, nous pouvons tirer la conclusion que c'est surtout la lecture expressive et la prédominance des oeuvres de fiction qui caractérisent les futurs pédagogues. Cela montre d'une part le niveau plus bas des facultés de réflexion, mais reflete d'autre part l'immense force de cohésion de la littérature hongroise et la détermination de la minorité hongroise a cultiver sa langue maternelle. On peut constater également une curiosité intense de connaitre les littératures d'Europe occidentale et quelques regards curieux vers la littérature américaine. Cette dépendance vis-a-vis de la fiction a cependant pour effet simultané l'intensité relativement basse de l'acquisition des connaissances et la volonté faible d'etre confronté aus faits réels. Les étudiants n'ont pas de préférence pour les oeuvres de non-fiction, l'effet des documents et des informations écrites n'est pas assez forte, ce qui est en rapport avec le rythme lent de la modernisation et de la démocratisation.

Les enquetes sur le loisir de l'Institut National de Statistiques nous permettent de regarder de pres l'évolution de la proportion des oeuvres de fiction et de non-fiction en 1976, 1986 et 1993.

Sur les livres lus 1976 1986 1993
Fiction 83,3 76,1 80,2
Non fiction 16,7 23,9 19,8


Nous devons ajouter a tout cela que les difficultes de s'orienter dans des situations de plus en plus complexes crées par le changement de systeme, les difficultés en général de s'orienter dans la société ne constituent pas l'unique raison de la nécessité de lire plus de livres de non-fiction: le changement de structure de l'édition va aussi dans ce sens. Entre 1986-1990 les oeuvres de non-fiction ont gagné plus de terrain, et pourtant, au milieu des années 90 elles ne représentent qu'un cinquieme des lectures. La structure des lectures est toujours dominée par la fiction et, par surcroit, la paralittérature (roman policier, sciences fiction etc.) est plus populaire que jamais.



Dans l'édition, les conditions de marché de plus en plus libérales ont entrainé l'augmentation du nombre des livres moins précieux. Si l'on examine de plus pres la proportion des oeuvres paralittéraires parmi les lectures au moment de l'enquete réalisée par l'Institut National des Statistiques, on arrive a la sonclusion que dans les années 90 la paralittérature atteint des records de popularité. En 1976, la proportion des lectures de type paralittéraire était de 32,2%, en 1986 de 40,8%, et en 1993 de 51,5% déja. (Source: Institut National de Statistiques)


Des caracteres d'imprimerie a l'image électronique

La relation entre texte et visualisation a radicalement changé. A la lecture traditionnelle, les fixations du regard sont courtes et saccadées, les yeux et la raison ne s'arretent qu'aux illustrations. Aujourd'hui, en revanche, les livres et surtout les encyclopédies et les publications de vulgarisation scientifique qui aident a connaitre la nature, sont basés sur la grande veriété des textes et des images. La structure de l'acte de communication s'est vue transformée par le role plus dominant de la représentation visualisée: les concepteurs de spectacle font désormais partie de la magie. Entretemps, les besoins des lecteurs se transforment aussi, a tel point que les anciens automatismes risquent d'empecher la communication fonctionnelle.

De point de vue sociologique, les processus qui se déroulent devant nos yeux sont bien complexes. Notre culture de plusieurs siécles, ayant pour fondement le livre, se transforme a un rythme choquant en culture basée sur le visuel, produit de l'électronique.

La question qui se pose est la suivante: comment l'électronique et l'informatique sont-elles intervenues dans les différentes phases de la communication, par exemple dans le recueil et le traitement des informations, travail des auteurs, dans l'édition et la diffusion, dans la transmission et la réception des informations a l'intérieur des réseaux d'information, dans les processus industriels et financiers, dans l'enseignement. Et sur notre terrain d'analyse proprement dit, comment sont-elles intervenues dans l'édition dans le travail de la rédaction, dans la vie des archives, bibliotheques et centre de documentation, dans l'activité des ateliers de recherches scientifiques.

Le probleme c'est de savoir sur l'écriture informatisée engendre ou pas de nouvelles techniques de lecture, si l'attitude de lecteur, habitué aux supports traditionnels se modifie ou pas face a l'écriture électronique.

Le développement international de l'information et des échanges d'informations souleve aussi la problématique du rapport entre globalisation et particularité. La multiplication des réseaux met en premier plan la nécessité de réinterpreter la vulgarisation scientifique et technique, la parole, les multimédia, les images virtuelles, les rapports entre texte et image. De nouveaux procédés graphiques sont apparus et ces facteurs concourent tous ensemble a retracer les cartes des connaissances.

Il faut désigner la place nouvelle de l'écriture entre les autres langues, la parole, l'image et les schéma, mais il est impossible de comprendre le développement de la communication écrite sans la mettre en rapport avec la structure politique. De nouveaux problemes ont surgi d'une part en suite des changements et transformations profonds de la société, et sortout en suite de l'élimination du socialisme, et d'autre part, et cela vaut aussi pour les modeles occidentaux, en suite des nouvelles méthodes d'organisation de l'information et la communication, de l'expansion de l'industrie informatique.

Des le début des années 80, on pouvait sentir les effets de plus en plus forts de la politique financiere et économique en conséquence de laquelle, apres le changement de régime, les prix d'un grand nombre de produits se sont élevés petit a petit pour atteindre finalement le niveau des prix de l'Europe de l'Ouest. Le probleme réside surtout dans le fait que la main d'oeuvre matérialisée dans les produits est payée bien au-dessous de sa valeur réelle. Ce niveau minimisé de longue durée a entrainé l'apauvrissement de couches sociales tout entieres.


Changement de fonction des bibliotheques

Depuis le début des années 80, les lieux d'information ou l'on aidait les membres des collectivités, les citoyens a s'orienter dans la vie quotidienne, n'existent plus. C'était donc a l'intérieur du réseau de bibliotheques publiques que l'on a créé des centres d'information pour donner des réponses a des questions du genre "Quelles sont les démarches a faire pour..., "Ou faut-il aller pour arranger..." etc. Et la, les problemes les plus variés pouvaient etre exposés, ces centres d'information tentaient de répondre a toutes sortes de questions concernant la continuation des études , le recyclage, l'arrangement des affaires courantes, la recherche d'un emploi, les problemes de logement, les crises humaines. Apres le changement de régime et parallelement a la liberté accrue, de nouveaux soucis jusque-la inconnus sont apparus qu'il fallait aider a résoudre le plus vite possible. Le nombre des chomeures et des sans abris s'est accru, des réfugiés sont arrivés dans le pays, et il y a de plus en plus de pauvres vivant en-dessous du minimum vital. La drogue et le SIDA sont devenus des problemes dont on parle désormais ouvertement. Les questions caractéristiques du développement rapide du capitalisme et d'une classe bourgeoise sont également apparues. (Questions relatives aux associations, fondations, entreprises, privatisation, impots, sociétés civiles.) Les bibliotheques sont fréquentées par les membres de certaines catégories sociales défavorisées qui cherchent a améliorer leurs conditions de vie dégradées a l'aide de la bibliotheque. Leurs motifs sont la reconversion, l'apprentissage, la formation autodidacte.

La seule activité de loisir de la population hongroise qui aujourd'hui aussi, et meme a l'échelle internationale, atteint le niveau moyen, c'est la lecture, avec presqu'une demi heure par jour en moyenne. Avec 40 minutes de lecture quotidienne, les hommes hongrois appartenaient en 1986 au peloton de tete. Les pays ou on lit le plus sont la Finlande, les Pays-Bas, la Norvege et la Suede: pays ou les gens ont plus de temps libre. Pays ou l'économie de marché développée s'accompagne d'une politique sociale de haut niveau, pays ou la télévision n'a pas le meme role prépondérant de passe-temps qu'en Hongrie, pays dont les habitants fréquentent plus souvent les établissements culturels.

En ce qui concerne les conditions financieres déterminant le fonctionnement des bibliotheques, nous sommes témoins de plusieurs processus. La dévaluation permanente du forint et l'inflation font sentir leur effet pendant toute la période examinée, mais leur impact ne devient drastique que dans les années 1990, et surtout en 1995. Le budget de l'Etat se combat pour réduire les déficits extremement lourds, les mesures d'austérité décidées pour rétablir l'équilibre entrainent le rétrécissement des ressources matérielles publiques. Meme si on réussit a maintenir d'une année a l'autre la valeur nominale des sommes affectées au fonctionnement des bibliotheques et l l'élargissement des collections, cela signifie, dans les conditions actuelles, une réduction de 30-40, voire de 50% en valeur réelle.

Les tendances se dessinent déja au milieu des années 1990: d'une part, les subventions d'Etat accordées aux bibliotheques n'augmentent pas ou n'augmentent guere meme en valeur nominale, et les bibliotheques ont beau augmenter leurs propres recettes, cela ne suffit pas pour avoir des réserves considérables. D'autre part, les différentes sources de l'aide venue de l'étranger commencent a s'épuiser. Ces phénomenes s'expliquent par plusieurs raisons. A l'intérieur du pays par exemple, les ressources diminuent. On peut s'attendre a des modifications fondamentales concernant le systeme des fonds publics: une partie de ces fonds risque d'etre supprimée ou concentrée sur certains domaines. Le domaine pour lequel le plus de ressources ont été assurées jusqu'a présent: l'informatisation des bibliotheques spécialisées est quasi terminée. Les ressources des fondations étrangeres ont tendance a se rétrécir. Les fondations cherchent d'autres régions, d'autres pays et d'autres domaines (par exemple la protection de l'envirommenemt) pour leur activité.

La construction des autoroutes traversant la société mondiale de l'informatique se poursuit. Si on y participe comme dirigeant, ouvrier qualifié, ouvrier spécialisé ou manoeuvre, c'est une question de division de pouvoir aussi. Le livre reste toutefois un moyen de l'acquisition des connaissances. Si nous aurons acces aux outils informatiques des systemes digitalisés et ce que nous pourrons en posséder, ce sont déja des questions qui ramenent au probleme de la reproduction des inégalités sociales.


Falussy, B.: Le travail rémunéré et les changements de l'emploi du loisir chez les différentes catégories sociales - sur la base de bilans de loisir hongrois et étrangers (A jövedelemszerzõ munka és a szabadidõ felhasználás változásai, rétegkülönbségei - hazai és külföldi idõmérlegek alapján) Budapest, 1996. KSH

Falussy, B. - Laki, L. - Tóth, Gy.: Mode de vie des étudiants des foyers des universités et des écoles supérieures (Egyetemi és fõiskolai kollégisták életmódja) Budapest, 1991. Eötvös József Kollégium

Józsa, P.: Systemes de valeurs de lecteurs hongrois et francais (Magyar és francia olvasók irodalmi értékrendszerei) Kultúra és közösség 1975/1. sz.

Kardos, K.: Changements sociologiques d'établissement dans les bibliotheques sépcialisées entre 1985-1995 (Intézményszociológiai változások szakkönyvtárakban 1985-95 között) Budapest, 1995. OSZK KMK Manuscrit 21 p.

Lõrincz, J.: Ecriture, communication, processus de société (Írás, kommunikáció, társadalmi folyamatok) Magyar Tudomány 1996/9. sz.

Lõrincz, J. - Vakkari, P.: Parents lointains, amis proches (Hongrois et Finlandais dans le miroir de la sociologie de la lecture) Távoli rokonok, közeli barátok (Magyarok és finnek az olvasásszociológia tükrében) Budapest, 1991. OSZK - Múzsák 110 p.

Lõrincz, J. - Vidra Szabó, F.: Pretres de Minerve? (culture de lecture de futurs pédagogues) Minerva papjai? (Pedagógusjelöltek olvasáskultúrája) Budapest, 1994. OSZK KMK 151 p.

Rózsa, Gy.: Héritage culturel et société d'informatique (Kulturális örökség és információs társadalom) Budapest, 1995. Argumentum 80 p.